Pénuries de carburant : comprendre les causes et s’y préparer

Les pénuries de carburant peuvent frapper sans préavis. Quand l’essence vient à manquer, tout s’arrête. Apprenez à adapter votre quotidien, sécuriser vos déplacements et gagner en autonomie face aux ruptures.

RISQUES

Quand le carburant vient à manquer, la société s’immobilise

Nous le savons tous, sans essence, diesel ou kérosène, la société s’immobilise presque instantanément. Les longues files d'attentes à la pompe dès que le carburant vient à manquer en témoignent. Dans un monde construit autour de la mobilité rapide, du flux tendu et de la disponibilité immédiate, une pénurie de carburant constitue un risque systémique majeur.

Entre les tensions géopolitiques actuelles, les catastrophes naturelles, ou même les cyberattaques qui pourraient paralyser la distribution, les scénarios menant à une rupture d’approvisionnement des stations services sont nombreux et plausibles.

Une logistique mondiale fragile et des vulnérabilités locales bien réelles

L’approvisionnement mondial en carburant repose sur un réseau logistique complexe et vulnérable. Une grande partie du pétrole brut est extraite dans des zones instables, au Moyen-Orient, en Afrique de l’Ouest ou en Asie centrale. Il suffit qu’un conflit éclate, qu’un détroit stratégique comme celui d’Ormuz soit bloqué, ou qu’une raffinerie clé soit sabotée, pour que l’offre mondiale soit déséquilibrée. Le détroit de Bab el-Mandeb, à l'entrée de la mer Rouge, et le détroit de Malacca, entre l’Indonésie et la Malaisie, sont également des points de passage critiques pour le trafic pétrolier mondial.

Et si le problème ne vient pas de ces situations internationales, alors l'actualité en France peut elle aussi conduire aux même résultats. En 2010, lors des grèves dans les raffineries françaises contre la réforme des retraites, plusieurs dépôts pétroliers avaient été bloqués, provoquant des files d'attente dans les stations-service et des ruptures de stock temporaires dans certaines régions. Plus récemment, en 2022, le conflit russo-ukrainien avec les sanctions internationales et le sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2, la réduction de plus de 80 % des livraisons de gaz russe vers l'Europe ont conduit à une flambée des prix de l’énergie, impactant directement les coûts du carburant à la pompe. Enfin, en 2000, une grève des routiers liée à la hausse du carburant avait paralysé la distribution pendant plusieurs jours, révélant à quel point la logistique française était dépendante du diesel.

Face à la pénurie de carburant qui touche une partie du pays, les difficultés d'approvisionnement se multiplient dans les zones rurales comme urbaines. De nombreuses stations-service se retrouvent à sec, provoquant de longues files d’attente et une tension croissante parmi les automobilistes. Le prix des carburants connaît également une flambée, accentuant l'inquiétude générale. Dans ce contexte critique, le secrétaire d’État aux Transports a annoncé une série de mesures d’urgence, visant à prioriser l’accès au carburant pour les services essentiels et à rétablir un acheminement plus fluide des livraisons. Les autorités appellent à la modération dans les achats, tout en assurant que la situation est sous étroite surveillance.

Ces événements rappellent que même dans un pays développé, une crise énergétique peut se déclencher en quelques jours, soit par des blocages internes, soit par des perturbations sur des routes d’approvisionnement internationales. La moindre tension dans ces corridors stratégiques peut ainsi se répercuter jusqu’à nos stations-service.

Dépendance structurelle au pétrole dans les sociétés modernes

Malgré les discours fréquents sur la transition énergétique et les ambitions des états de polluer moins, les transports routiers, maritimes et aériens dépendent encore très largement des carburants fossiles. En France on estime que plus de plus de 90 % des véhicules particuliers en circulation roulent encore à l’essence ou au diesel selon les données de 2024. Les véhicules électriques ne représentent qu'environ 2,6 millions d’unités, soit environ 7 % du parc total. Un chiffre qui est en croissance si l'on se base sur les 10 dernières années, mais qui reste encore très marginal face aux 38 millions de voitures thermiques encore actives.

Du côté des transports en commun, les bus urbains sont de plus en plus électrifiés, mais près de 60 % du parc en France fonctionne encore au diesel, notamment dans les zones périurbaines ou rurales. Quant aux camions, plus de 98 % du transport de marchandises repose toujours sur le diesel, et les alternatives électriques ou hydrogène restent marginales, souvent cantonnées à des expérimentations ou des trajets très courts.

Même l’agriculture moderne, pourtant perçue comme moins dépendante, fonctionne au gasoil non routier (GNR) pour faire tourner les tracteurs, moissonneuses, ensileuses et systèmes d’irrigation motorisés. Le modèle de production en flux tendu, combiné à une logistique mondialisée, renforce cette dépendance structurelle : au moindre choc pétrolier, ce sont des pans entiers de l’économie, des transports aux récoltes, qui peuvent s’effondrer en chaîne.

L’effondrement de la mobilité individuelle

Dès les premières annonces de pénurie, les stations-service sont prises d’assaut : files interminables, tensions, rationnements. La panique s’installe rapidement. Une fois les réservoirs vides et les livraisons devenues incertaines, c’est l’ensemble de la mobilité personnelle qui s’effondre avec la rupture de stock. Les déplacements du quotidien, travail, courses, loisirs, soins médicaux, deviennent impossibles, particulièrement en zone rurale où la voiture est souvent le seul moyen de locomotion. Mais les transports en commun ne prennent pas le relais : eux aussi dépendent du carburant. Bus, trains diesel ou taxi/uber sont affectés.

Face à la crise, les autorités doivent prioriser certaines lignes, suspendre d’autres, provoquant retards, suppressions et engorgement des réseaux, notamment pour les populations périurbaines.Dans un tel contexte, la notion même de mobilité de crise s’effondre. Lorsqu’une pénurie de carburant coïncide avec une catastrophe naturelle, un conflit ou une crise sanitaire, l’impossibilité de se déplacer devient une menace vitale. L’évacuation des zones à risque n’est plus envisageable. Les routes ne mènent nulle part si les véhicules sont à l’arrêt. En ville, cela signifie rester coincé dans un environnement potentiellement hostile, sans échappatoire, ni accès facilité à une zone refuge. Ce scénario met en lumière une réalité brutale : sans mobilité, la résilience individuelle s'effondre.

L’effondrement de la logistique et des services essentiels

Le transport routier, pilier de la chaîne logistique moderne, dépend entièrement du carburant. Sans diesel, les camions cessent de circuler, les entrepôts se vident, et les rayons des magasins ne sont plus approvisionnés. En quelques jours, les produits frais disparaissent, rapidement suivis par les denrées sèches, les médicaments et les biens de première nécessité. La panique des consommateurs, alimentée par la peur du manque, aggrave la situation par une surconsommation irrationnelle. Cette rupture brutale d’approvisionnement révèle la fragilité extrême d’un système construit sur le flux tendu.Les conséquences ne s’arrêtent pas là : les services de secours, pompiers, ambulances, forces de l’ordre – sont eux aussi tributaires du carburant.

En période de pénurie prolongée, l’État met en place des plans de rationnement réservant le peu de carburant disponible aux services dits prioritaires, laissant les autres à l’arrêt. Les interventions deviennent plus rares, les délais s’allongent, certaines zones deviennent inaccessibles. Dans ce vide logistique et sécuritaire, l’économie s'effondre : usines, commerces, chantiers cessent toute activité. La tension sociale monte. Files d’attente, pillages, affrontements : l’ordre public vacille, et le risque de chaos généralisé devient tangible.

Adapter ses mobilités et sa logistique en situation dégradée

Face à une pénurie de carburant, la première réponse n’est pas idéologique mais pratique : réduire immédiatement sa dépendance aux déplacements motorisés. Cela implique de réorganiser son quotidien autour d’un rayon de proximité : privilégier la marche, le vélo mécanique, les trajets à pied vers les commerces essentiels, l’école ou les soins. En parallèle, intégrer le télétravail, l’enseignement à domicile, ou le regroupement d’activités permet de limiter les sorties. C’est aussi le moment d’adopter des outils de portage low-tech, remorque de vélo, caddie solide, sac à dos adapté pour transporter des charges sans énergie motorisée. À la campagne comme en zone urbaine, ces moyens modestes, mais éprouvés, redonnent une marge de manœuvre logistique immédiate.

En amont, une préparation simple mais ciblée fait toute la différence : stocker quelques dizaines de litres de carburant stabilisé dans des jerricans homologués (dans les limites légales), entretenir son véhicule, disposer de filtres, lubrifiants, d’outils de base, et connaître les itinéraires de contournement.

Un réflexe simple mais efficace consiste aussi à refaire le plein de son réservoir dès que le niveau approche de la moitié : cela permet d’éviter de se retrouver à sec si la situation bascule brutalement, tout en échappant aux longues files d’attente en station. Avoir des cartes papier, une radio à dynamo, et des moyens de communication décentralisés (talkies-walkies, messageries hors-ligne) permet de maintenir une forme d’autonomie même si les réseaux tombent. Mais la vraie force, c’est le collectif : mutualiser les trajets avec des voisins, organiser des relais de transport local, créer des points de partage et d’entraide, redonne du sens au mot résilience. Une petite communauté bien organisée vaut plus qu’un individu très équipé mais seul.

De la crise à la résilience : tirer les leçons d’un monde fragile

La pénurie de carburant est un scénario plausible, documenté et redoutable. Elle agit comme un révélateur de la vulnérabilité de nos sociétés modernes, hyperconnectées mais ultra-fragiles. Mais ce risque peut aussi être une opportunité : celle de repenser notre rapport au mouvement, à la consommation, au territoire. Anticiper, se préparer, développer des alternatives et relocaliser une partie de nos besoins est une forme d’assurance. Une assurance non pas pour un futur hypothétique, mais pour un présent déjà instable.

Saurons-nous faire ce pas de côté avant qu’il ne soit trop tard ? Ou attendrons-nous l’effondrement pour redécouvrir la valeur d’un trajet, la richesse d’un voisinage, la puissance d’un outil simple ?